Interviews de femmes réalisatrices

Elles se confient à Ciné Women

LAURA WANDEL

"Mon choc cinéma ultime ? Chantal Akerman"


Laura Wandel, réalisatrice belge née en 1984, nous emmène avec son film "L'intérêt d'Adam" en immersion dans un hôpital où elle fait se rencontrer Lucie, infirmière en chef, et Rebecca, mère dépassée et angoissée.


Avant toute chose, qu'est-ce qui vous a motivée à vouloir réaliser vos propres films ?


Ce sont les films que j'ai vus, notamment un film qui m'avait vraiment bouleversée lorsque j'avais plus ou moins 15 ans : Jeanne Dielman de Chantal Akerman. C'était l'expérience cinématographique la plus forte de ma vie. Je tremblais en sortant de la salle de cinéma car quelque chose m'avait touché dans mon inconscient. Je ne sais toujours pas très bien expliquer aujourd'hui ce que c'est, mais c'était incroyable.


Comment vous est venue l'idée de ce long-métrage L'intérêt d'Adam ?

Je suis partie en immersion à l'hôpital Saint-Pierre en 2020, aux hospitalisations et urgences afin de développer un possible film sur le médical. L'aspect social m'a beaucoup plu, et notamment le pouvoir avec le parent qui est déterminant dans la guérison de l'enfant. C'est ce que je voulais montrer avec le film. Nous avons tourné dans un vrai hôpital pour bénéficier de l'énergie du lieu, l'hôpital de Huy, et que l'image s'en imprègne. C'était très important pour moi de ne pas faire n'importe quoi et de se montrer le plus juste possible.


Mais impossible de travailler dans de vraies urgences. Pour ces scènes, nous avons retapé quelques pièces d'un ancien hôpital de Liège, la Clinique de l'Espérance.


Avec le recul, comment décririez vous les deux héroïnes du film ?


Le personnage de Lucie (jouée par Léa Drucker, ndlr) essaie de dépasser les limites, et tente de remettre l'humain à l'avant-plan. Mais quand les moyens manquent, cela devient difficile. Évidemment, elle va aller trop loin à un moment du film mais pour justement provoquer un questionnement de nos propres limites.


Rebecca (jouée par Annamaria Vartolomei, ndlr) est dans une fragilité et une détresse. Quelque chose coince avec sa maternité, et elle a perdu confiance en tout le monde. Quand elle se montre obsessionnelle par rapport à la nourriture de son enfant, c'est un moyen de se raccrocher à quelque chose. C'est une anecdote qui m'a été racontée par un pédiatre.


Vous bénéficiez de la présence d'Annamaria Vartolomei pour incarner cette jeune mère; c'est l'une des actrices les plus prometteuses de sa génération. Comment avez-vous procéder pour la recruter ?


J'avais vu Annamaria Vartolomei dans le film L'événement d'Audrey Diwan où je l'avais trouvée fabuleuse. Au début, je la trouvais un peu jeune pour le rôle de Rebecca et je me suis tourné vers une autre actrice. Cela n'a pas été concluant et je suis revenu à elle. Si elle incarne une jeune mère, finalement, cela dit quelque chose de notre époque. Elle était un peu perdue pour comprendre les agissements de ce personnage qu'elle incarne, mais finalement tant mieux car Rebecca est un peu perdue. C'était mieux de la laisser faire sans trop expliquer les choses. Rebecca est un peu animale au fond.


Pour le rôle de Lucie, Léa Drucker fait face à Annamaria Vartolomei. Vous la filmez souvent de très près.


C'était pour moi la meilleure manière de montrer ce travail épuisant et quotidien du personnel soignant. Lors de mes observations en 2020, j'ai remarqué que les infirmières n'avaient quasiment pas de pause, notamment pour s'alimenter. Il me semblait bien de coller ma caméra à l'héroïne était le meilleur moyen de découvrir cette femme infirmière et ses dilemmes.

Mais il suffit d'une erreur pour tout recommencer dans le plan séquence (donc sans coupe). C'était donc difficile de tout mettre en place pour un plan réussi. J'ai parfois demandé trente à quarante fois la même chose pour ce que je veuille se mette en place. Léa Drucker a été incroyable pour cela, et elle a été coachée. Je trouve qu'elle a un regard très doux. J'ai été beaucoup émue lors de notre première rencontre à Paris.


Vous avez dit être un peu mal à l'aise avec l'étiquette "film politique" qu'on pourrait poser sur vos oeuvres.


Avec ce film, j'ai voulu mettre en avant l'empathie, qui me semble être fondamentale à préserver. Je suis là pour soulever des questions mais ne surtout pas apporter des réponses. Je souhaitais retransmettre ce que j'ai vu dans l'hôpital que j'ai observé. Si jamais le public s'empare après du film pour susciter le débat, tant mieux ! J'en serais très heureuse.

Mais dire que je ferais du cinéma politique ne mettrait pas à l'aise. C'est une étiquette que je comprends, mais que je ne pense pas poser sur mes films moi-même.